Saison 1 – Épisode 1
Pour ce premier épisode, découvrez l’histoire du label Stax qui a changé le son des années 60.
L’histoire de Stax ? C’est le projet fou d’un frère et une soeur blancs qui, contre les idées reçues et le racisme, parviennent à donner naissance à l’une des plus importantes maisons de disques afro-américaines. De Carla Thomas à Sam et Dave ou encore Otis Redding « , ce label a marqué l’histoire du rhythm and blues, de la soul et du funk, devenant à son tour l’un des plus grands succès de l’industrie musicale.
D’abord née sous le nom de Satelitte Records, Stax est le studio fondé par Jim Stewart et sa sœur Estelle Axton dans le Memphis de 1958. Si au début ils travaillent essentiellement sur de la country et rockabilly, Jim et Estelle se tourneront vers la soul et le rythm and blues avec des noms comme Rufus et Carla Thomas, Sam & Dave, Otis Redding ou encore Isaac Hayes.
Dans ce podcast, découvrez leur histoire et la naissance de ce label qui a sur marqué l’histoire de la musique noir américaine dans un pays miné par le racisme.
La tracklist
- Hip Hug Her – Booker T & the MG’s
- Respect – Otis Redding
- Fool in Love – Veltones
- Walking the Dog – Rufus Thomas
- ‘Cause I Love You – Carla & Rufus Thomas
- Gee Whiz – Carla Thomas
- Last Night – Mar Keys
- You Don’t Miss Your Water – William Bell
- Behave yourself – Booker T & the MG’s
- Green Onions – Booker T & the MG’s
- Satisfaction – Otis Redding
- Frog Stomp – Floyd Newman
- Hold on, I’m Coming – Sam & Dave
Les sources :
- Sweet soul music : Rhythm and blues et rêve sudiste de liberté – Peter Guralnick
- Stax Museum
- Move on up : la soul en 100 disques – Nicolas Rogès
Le script de l’épisode :
Introduction
Nous sommes un matin dans la ville de Memphis, dans un Tennesse de 1960 où il valait mieux avoir la couleur de peau d’Elvis Presley que celui de Ray Charles. Estelle et son frère Jim gare leur voiture devant le 926 McLemore Avenue. Que viennent faire ces deux blancs bec dans ce quartier noir un peu pourri ? Ils vont visiter un cinéma désaffecté pour installer les studios de leur petit label de musique. Et si les gars du quartier les regardent de travers, ils vont mettre tout le monde d’accord avec ça :
Curieuses, curieux, vous l’aurez peut-être compris. Aujourd’hui on va parler du label Stax et de comment noir et blanc ont appris à jouer ensemble dans une amérique raciste.
Si vous ne connaissez pas ces noms peut être connaissez vous le label Stax et si ce n’est pas le cas vous connaissez probablement Otis Redding qu’on vient d’entendre, ou peut être Booker T and the MG’s Isaac Hayes qui a fait la Bo de Shaft.
Les débuts de Stax
Pour Stax, tout a commencé avec un échec, celui de Jim , un petit employé de banque qui jouaient de la musique sur son temps libres à la fin des années 50 dans la ville de Memphis dans le Tennesse. Après avoir joué dans le plusieurs groupes de country et acquis une petite notoriété à Memphis, il était temps pour lui de passer la seconde. Il veut monter son label montrer au monde sa vision de la musique sud américaine.
Et c’est comme ça qu’en 1957, Jim Stewart monte avec quelques connaissances son label Satelite. Ces joyeux drilles travaillent et enregistrent leurs premiers disques. On imagine Jim tout content d’aller montrer à sa soeur Estelle Axton son premier disque. Problème c’est un bide. Le son est tellement pourri même sa chère soeur hypothèquera une deuxième fois sa maison pour que son frère aille s’acheter du matos un peu plus décent.
Quitte à risquer sa baraque, autant mettre les mains dans le cambouis, alors pendant que Jim bidouille des sons dans un garage Estelle s’occupera des sous. Forcément tout ne se fait pas un jour loin de là, les week-end et les jours de congés y passent.
L’arrivée au cinéma de Memphis, Tennessee
En parallèle de leur travail respectif, Estelle et Jim passe leur week-end à bosser sur le label. Si les premiers disques de country de rockabilly et de rythm’n’ blues ne marchent pas vraiment, la donne va changer en 1959 lorsque Satelitte records, l’ancêtre de Stax donc, déménage dans ce cinéma de Memphis qu’ils louent 100$ par mois.
Quand ils arrivent, Jim Stewart et et Estelle Axton refont tout du sol au plafond façon Valérie Damidot. Ils arrachent les sièges de la salle, ils transforment la scène en cabine de contrôle, capitonnent les murs. Et tant qu’on est à foutre le bazar, Jim et Estelle coupent la salle de ciné en deux et transforme le stand à pop corn en un magasin disque, ce qui sera leur première rentrée d’argent et aussi un bon moyen de prendre la température auprès des clients.
Rufus Thomas, le vieux loup de mer qui va lancer Stax Records
Après 3-4 disques de country et rockabilly tombés complètement dans l’oubli, v’là tit pas que débarque une petite star local dans le magasin.
Son nom ? Rufus Thomas. Rufus est un peu le Nikos Aliagas local mais en plus funky. On le surnomme “The funkiest man alive” ou “le plus vieil adolescent du monde” alors qu’il anime des concours de chansons. Lui-même chantait sur les premiers disques de Sun Records, le label où sévit Elvis et quand il bosse pas à l’usine pour faire manger la famille, il anime aussi une émission sur une radio locale. Il affirme d’ailleurs s’être attiré les foudres de la police pour être le premier DJ noir à passer du Elvis.
Bref un filou qui tient pas en place tout en gardant les pieds sur terre. Père de trois enfants, il rentre dans le magasin avec une petite idée en tête : enregistrer un duo avec sa fille Carla et son fils Marvel au clavier. C’est l’occasion d’arrondir les fins de mois et de préparer la future génération.
Les deux blancs bec Jim et Stewart sentent le bon coup et cela donnera le morceau ‘Cause I love You. Un petit tube local qui permet à la petite entreprise familliale de gagner enfin ses premiers ronds.
Faut dire que niveau com’, on sait y faire chez Satelitte Records. Une partie des crédit de publication de la chanson à John Richebourg, un DJ local qui a la réputation de faire et défaire les succès de Rythme and blues. De la à parler de corruption, il n’y a qu’un pas chaloupé qu’on exécutera sans trop de remords.
Gee Whiz, le premier hit qui mettra le feu aux poudres
Les enregistrements se passent bien. Très bien même. Pendant que les gamins du quartier viennent choper des disques au magasin, les plus musiciens d’entre eux viennent jammer avec Jim et ses comparses dans le studio à côté.
Pendant les sessions, la jeune Carla Thomas qui n’avait que dix sept ans joue au piano une petite chanson de son cru qu’elle avait écrit alors qu’elle avait 15 ans. Ce morceau ? “Gee Whiz, look at this eyes” (qu’on pourrait traduire par “Ça alors, regarde ses yeux”). Sur le moment tout le monde s’accorde sur le potentiel de la chanson. C’est guimauve comme jamais, mais ça tombe à l’époque est au diabète musicale. Alors roule ma poule et sortez les violons, ce sera LE hit qui mettra le feu au poudre. Carla Thomas à peine 18 ans et son Gee Whiz rentre dans le tops 10 de la musique pop et rythme and blues pour ce début de 1961.
Les contrats commencent à fleurir. Les emmerdes aussi. Car humainement, l’ambiance est toujours lourde dès que la peau est un peu foncée dans le Memphis des années 60. Un soir, alors qu’ils allaient fêter la sortie de Gee Wiz à l’hôtel avec des associés de Stax, Rufus et Carla Thomas sont obligés de se faire discret, de passer par l’entrée de service pour se frayer un chemin entre les poubelles et retrouver leurs patrons les yeux plein de larme et de honte face à la ségrégation.
Jerry Wexler, un partenaire venu du label Atlantic qui avait loué la suite d’hotel où se passait la petite fête, raconte que cette nuit-là, il fut réveillé par la brigade des mœurs qui tambourine à la porte. Dans la panique, il écrit une lettre d’adieu à sa femme. Comme il le dit “On était à Memphis en 1960. J’ai pensé que j’allais finir au fond du Mississippi dans le coffre d’une voiture”.
Last Night : le coup de bol qui n’arrive qu’une fois et forge un son
Et tant qu’on parle de teuf clandestine où se mélange blanc et noir, y en a un qui a rien loupé c’est le fils de la patronne, Packy Axton. Pendant que maman dort et que tonton bidouille dans le studio familialle, le gamin écume les clubs locaux avec ses potes, peu importe la peau des musiciens ou du public. Que ce soit dans le public ou sur la scène, le môme est de toutes les parties avec son groupe du lycée. Tant et si bien que tous les matins, sa mère est obligée d’appeler au magasin le lendemain matin pour vérifier que monsieur s’est réveillé et qu’il tient bien la boutique pendant que maman est au bureau.
A force de traîner autour du label, forcément le groupe de Packy s’invite aux studios et devient sans le savoir le relais entre la bouillonnante scène noire américaine de Memphis et un public de jeunes ados qui ne demande qu’à danser, peu importe la tronche des musiciens.
Le tout se matérialisera dans un morceau entêtant et dansant au possible. Le genre de morceau qui réveille mémé dans les orties et apporte plein de brouzouf au label Stax qui ne demande qu’à exploser.
Allez je vous le mets pas trop parce que je tiens à votre santé mentale et celui de la Sacem. Le morceau dont je parlais c’était donc Last Night, un morceau interprété par les Mar -Keys, un groupe composé essentiellement par les Royals Spades de notre cher Packy. Et qui donc a sûrement enjaillé vos bar mitzvah et autres fêtes de divorce.
L’origine du titre est floue. On sait que Last Night est le fruit de 6 mois d’enregistrement, de réenregistrement et de bidouillage de toute la galaxie de musiciens qui traînait autour. À tel point qu’on ne sait pas vraiment qui joue vraiment sur le morceau.
L’histoire retiendra surtout un son, reconnaissable entre mille. Un son chaud, quie sonne comme du gospel noir, du blues, de la country blanche mais qui n’oublie pas d’être très dansant. Et c’est ce studio, ces machines et ces musiciens qui en feront une patte reconnaissable.
Bref Last Night c’est le son qui fera littéralement Stax. Le titre cartonne dans tout le pays. A tel point que menacé de procès par un concurrent du même nom, Satelitte Records est obligé de devenir Stax, la contraction entre les noms de famille des deux patrons, Stewart et Axton.
Un label (de qualité) est né
Stax est né. C’était en en 1961. Le frère et la sœur commencent à bien s’entourer tant et si bien qu’ils commencent à embaucher. Ça commence avec William Bell, un chanteur compositeur que l’histoire a un peu oublié à côté des stars qui vont arriver, mais William ne démérite pas avec des morceaux tout en douceur et en simplicité.
Les répétitions et les enregistrements s’enchaînent jusqu’à un dimanche de l’été 62. l’équipe permanente de Stax est sur le pont pour enregistrer un jingle. Au clavier on retrouve Booker T, le plus jeune de la bande qui traîne depuis quelque temps déjà dans le studio, Steve Cropper, le guitariste présent depuis quasiment le début de Stax, Duck Dunn, qui a du jouer mille fois Last Night en tourné au sein des Mar Keys et Al Jackson à la batterie.
Trois noir, un blanc, une journée normale pour Stax Records, mais très mal vu dans le sud raciste des Etats Unis. Alors que le chanteur du jour se fait attendre, nos amis improvisent un bœuf, histoire de se mettre en jambe. Jim Stewart, le patron, lance la bande, au où. On sait jamais, sur un malentendu ça peut faire un disque. Et ça groove bien, à tel point que le patron en redemande. Qui sait, ces 4 garçons peuvent pondre une bonne face b pour en faire un 45 tour. Et ce fut Green Onions, un titre improvisé qui se vendit à un million d’exemplaires.
Avec ce single sorti en 62, Booker T and the MG’s place la ville de Memphis et Stax sur la carte des studios où il fait bon aller. On y profite d’un son carré et sans fioriture enregistré par des professionnels habitués à travailler ensemble. Et ça n’y coupe pas. Un certain Otis Redding vient tenter sa chance. Si les premières sessions ne sont pas concluantes, Otis reviendra plusieurs fois comme en 66 où Steve Cropper lui passe Satisfaction des Rolling Stones, ce qui a donné la version que l’on connaît.
Tous les témoignages sont unanimes sur le sujet : si une session d’enregistrement chez Stax n’est déjà pas banal, une avec Otis Redding l’est encore moins. Le jeune Otis mène tout le monde à la baguette et saisit toutes les idées au vol. Avec le succès qu’on lui connaît.
La famille s’agrandit
Résumé des troupes : on a donc les Booker T et les MG’s pour assurer la partie instrumental, côté composition, Otis Redding s’autogère et William Bell dépanne aussi les starlettes qui voudraient se frotter au son de Memphis.
Bien vite, l’équipe s’étoffe avec le duo Isaac Hayes et David Porter. Le premier sera à la composition et le second au texte. Leur boulot ? Fournir des tubes aux interprètes de passage. Parmi leur premier tube notable, il y a celui interprété par un autre duo Sam & Dave qui fera fureur sur la scène soul avec Hold on, I’m Coming. Sam & Dave incarne exactement ce que le patron Jim Stewart voulait : de la musique post Ray Charles. C’est à dire un truc dansant fait de question réponse avec quelques sous entendu holé holé.
Stax est lancé. Il grandira avec son sous-label Volt. Il verra passer Wilson Picket , Aretha Franklin, Albert King, les Staples Singers, autant de noms qui feront la soul et le rythm’n’ blues des années 60. Même si ces fondateurs sont blancs, ses cadres seront de plus en plus colorés, ils organiseront un festival Wattstax, véritable Woodstock de la culture noire américaine. Sans oublier la BO de Shaft avec laquelle Isaac Hayes remportera un Oscar et Grammy Awards mais ça on le verra peut être un jour en écoutant Piste suivante.